Le 16 mars 2015, les Gouvernements belge et luxembourgeois ont conclu un Accord amiable[1] relatif à l’imposition des travailleurs frontaliers.

Avec effet rétroactif au 1er janvier 2015, cet Accord introduit une dérogation à l’actuel article 15 de la Convention belgo-luxembourgeoise préventive de la double imposition (CPDI) conclue le 17 septembre 1970[2].

Aux termes de cette dérogation, le Luxembourg conserve le droit d’imposition sur la totalité de la rémunération des travailleurs, à condition que l’activité physiquement prestée en Belgique, voire dans un tiers état, pour le compte d’un employeur luxembourgeois, n’excède pas 24 jours par année civile.

Je vous propose de brosser les contours de cette « petite (r)évolution » fiscale.

On se souviendra que, conformément à l’article 15, § 1er, de la CPDI, les rémunérations qu’un résident, de l’un des deux États contractants, reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

Or, le paragraphe 8 du Protocole final, inséré par l’article IX de l’Avenant à la Convention[3] signé le 11 DÉCEMBRE 2002, précise qu’un emploi est exercé dans l’autre État lorsque l’activité, en raison de laquelle les salaires, traitements et autres rémunérations sont payés, est effectivement exercée dans cet autre État ; c’est-à-dire, lorsque le salarié est physiquement présent dans cet autre État pour y exercer ladite activité.

Il s’ensuit logiquement qu’à défaut d’être physiquement présent dans l’autre État pour y exercer son activité, le travailleur est, par principe, imposable dans l’État de sa résidence, à raison des rémunérations tirées de l’emploi exercé dans ce dernier État ou dans un État tiers.

Par l’accord amiable du 16 MARS 2015 susvisé, les Ministres des Finances belge et luxembourgeois ont convenu, sous de strictes conditions, de déroger à la règle ; ce faisant, l’État de résidence renonce à imposer certaines rémunérations, bien que celles-ci soient liées à une activité effectivement exercée sur son territoire ou sur le territoire d’un État tiers.

Et, lesdits Gouvernements de s’exprimer en ces termes : « un résident d’un État contractant qui exerce un emploi dans l’autre État contractant et qui, au cours d’une période imposable, est physiquement présent dans le premier État et/ou dans un État tiers pour y exercer un emploi durant une ou des périodes n’excédant pas au total 24 jours, est considéré comme exerçant effectivement son emploi dans l’autre État durant toute la période imposable ».

Sont ainsi visés les travailleurs, résidents de l’un des deux états contractants, qui exercent habituellement une activité salariée sur le territoire de l’autre État, généralement au service d’un employeur établi dans ce même État, mais qui sont amenés à exercer sporadiquement leur emploi dans l’État de leur résidence ou dans un État tiers.

Dite « règle de tolérance des 24 jours », cette exception s’applique sous réserve de toute disposition contraire figurant dans une (autre) Convention préventive de la double imposition conclue avec un État tiers par la Belgique ou le Grand-Duché de Luxembourg ; il va sans dire qu’au-delà du seuil des 24 jours, le régime général redevient de plein droit applicable.

Une question demeure comment calculer ces 24 jours ?

La réponse nous est apportée par la Circulaire administrative[4] AGFisc n°22/2015 du 1er JUIN 2015 ; en vertu de celle-ci, les 24 jours visés s’entendent des jours durant lesquels le travailleur est physiquement présent dans l’État de sa résidence et/ou dans un État tiers pour y exercer un emploi.

Si toute fraction de journée, même brève, compte comme journée entière de présence pour le calcul ; lorsqu’au cours d’une même journée, le travailleur est physiquement présent pour partie dans l’État de sa résidence et pour partie dans un État tiers, les fractions de journée sont à comptabiliser à hauteur d’un seul jour, quel que soit le nombre d’heures de présence effective sur le territoire de chacun des deux États.

Pour le calcul du quantum des 24 jours, on ne tiendra aucun égard au caractère productif, ou non, de l’emploi exercé ; ainsi, outre les jours ouvrés proprement dit, sont à inclure, notamment mais pas exhaustivement, les journées ou fractions de journée de formation suivie dans l’État de résidence ou dans un État tiers, ainsi que les journées ou fractions de journée durant lesquelles le travailleur assure une permanence ou un service de garde.

Par contre, les périodes durant lesquelles la présence physique du travailleur, dans l’État de sa résidence ou dans un État tiers, n’est pas justifiée par l’exercice de l’emploi sont de plein droit à exclure du quantum de tolérance.

Tel est, entre autres, le cas :

– des week-ends et jours fériés, à moins que le travailleur n’assure une permanence ou un service de garde ;

– des périodes de congé quel qu’en soit le motif : vacances, maternité, congé parental ;

– des périodes d’inaptitude au travail pour cause de maladie ou d’accident, quelle que soit la cause, professionnelle ou privée ;

– des journées ou fractions de journée consacrées à la fonction de délégué syndical ;

– des périodes durant lesquelles le travailleur se déclare en grève ;

– des journées ou fractions de journée nécessaires à des visites médicales ;

– des journées ou fractions de journée au cours desquelles un travailleur est exclusivement en transit, dans l’État de sa résidence ou dans un État tiers, en vue de rejoindre un lieu de travail ;

– des journées ou fractions de journée dues à des cas de force majeure, la grève inopinée des moyens de transport est citée à titre d’illustration par l’Administration ;

– des journées ou fractions de journée au cours desquelles le travailleur exerce une activité non visée à l’article 15, §1er, de la Convention belgo-luxembourgeoise, en tant qu’indépendant, administrateur, ou fonctionnaire par exemple.

Ceci dit, trois situations particulières requièrent développements :

Télétravail : le régime général veut donc que toute journée au cours de laquelle le travailleur exerce son emploi à domicile participe au décompte des 24 jours tolérés ; le télétravail n’échappe pas à la règle et sera donc imputé à ce titre. À cet égard, l’on rappellera qu’une fraction de journée équivaut à une journée entière de présence physique dans l’État de résidence du salarié.

Travail à temps partiel : Ladite Circulaire tient pour propos – quelque peu rédhibitoire certes, que : « Lorsque le travailleur, résident de l’un des deux États contractants, exerce un emploi sur le territoire de l’autre État contractant dans le cadre d’un contrat à temps partiel, il sera réputé exercer son emploi dans cet autre État si, au cours d’une période imposable, il est physiquement présent dans l’État de sa résidence et/ou dans un État tiers pour y exercer un emploi durant une ou des périodes n’excédant pas un total de 24 jours à réduire proportionnellement aux prestations prévues au contrat. ».

Plus simplement dit, la Circulaire prévoit de réduire le seuil de tolérance prorata temporis ; il importe cependant d’être attentif que le ratio ainsi obtenu doit toujours être arrondi à l’unité supérieure (!).

Exercice imposable incomplet : Sont visés par cette disposition, les contribuables dont la période imposable ne coïncide pas avec l’année civile. En pareille situation, le seuil des 24 jours de tolérance doit être également réduit prorata temporis. Toutefois, précisions importantes, tout mois entamé est réputé échu ; et, l’arrondi à l’unité supérieure des jours de tolérance est mutatis mutandis d’application.

Votre Dévoué,

[1] Accord amiable du 16.03.2015 sur l’application de l’article 15 de la Convention belgo-luxembourgeoise préventive de la double imposition conclue le 17.09.1970

[2] Loi du 14 DÉCEMBRE 1972 portant approbation de la convention entre la Belgique et le Luxembourg et vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, et du Protocole final, signés à Luxembourg le 17 septembre 1970, M.B. 27.01.1973.

[3] Loi portant assentiment à l’Avenant, signé le 11 décembre 2002, à la Convention entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, et le Protocole final y relatif, signés à Luxembourg, le 17 septembre 1970, M.B. 22.12.2004 et 23.02.2006.

[4] Circulaire AGFisc N° 22/2015 (n° Ci.700.520) dd. 01.06.2015.